CHAPITRE 03 : Exile amère

Quelques jours s'écoulèrent depuis ma sortie de l'infirmerie. Les enseignants ont bel et bien répandu la fausse rumeur que la disparition de ma famille (imaginaire bien sûr) fut à l'origine de mon malaise.
Le bon côté fut que je pouvais poursuivre ma mission, l'effet pervers fut que désormais, on me considérait comme la petite poupée de porcelaine ultra fragile. Cela colle assez mal avec mon boulot je dois dire. Résultat : TOUS les mecs et je dis bien TOUS eurent un instinct protecteur avec moi (protégée par une bande d'ados pour certain encore boutonneux je ne sais pas si il faut en rire ou en pleurer).
En l'espace de 48 heures, ils devinrent tous des chevaliers au grand cœur ! Il y en a deux qui furent même assez idiots pour se battre (en duel attention) afin de déterminer qui est le plus protecteur... ils eurent tout les deux une retenue bien sûr. Brave Flitwick, je lui dois une fière chandelle sur ce coup. Pour ce qui est des filles ce n'était pas mieux... elles étaient TOUTES et je dis bien TOUTES mes meilleures amies (y compris des filles que je ne connaissais pas) à qui je confiais mon cœur... cela devenait agaçant à la fin. Si agaçant que je partis me terrer dans la planque que m'avait aménagé Dumbledore dans la Salle Sur Demande, pour finalement me replonger dans mes mémoires. J'espère que cela me calmera...

8 avril 1738
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Une semaine s'est écoulée depuis l'arrivée du nouveau pape. Cependant rien n'a encore bougé pour l'instant. Cet homme était connu pour être énergique. Tard dans la nuit, le Père Bottiglionne frappa à notre porte. J'ouvris et je le vis pâle d'inquiétude. Il demanda à s'entretenir avec mon père en privé. Ainsi je le conduis à son bureau personnel. Je savais qu'il allait systématiquement s'enfermer dans ce bureau lorsqu'il était en proie au doute. Rongée par la curiosité, je plaquais une oreille contre la porte et reconnus la voix de mon père et je sentis dans le timbre de sa voix une certaine panique, mêlée à de la colère... Ou plutôt de l'indignation, mais la colère n'allait pas tarder à surgir. Voici donc les paroles qu'eurent mon père et Bottiglionne telles que je m'en rappelle aujourd'hui :

- Mais comment est-ce possible ? Mais à quelle époque se croit-il ? Nous ne sommes plus au XII eme siècle ! C'est absurde !

- De Layoza estime que les terres d'Italie tombent dans la décadence!

- FOUTAISES ! Il est en mal de pouvoir, il veut affirmer son autorité suprême sur des peuples qui n'ont jamais reconnu l'autorité du Vatican et ne voudront jamais le faire. Les lombards règlent leurs problèmes entre eux, les cités comme Naples ou Milan ne veulent point se faire imposer par le Vatican... la décadence n'a rien à voir là-dedans ! Pour prélever plus de richesses, il n'hésitera pas à ressusciter les vieux démons de l'Inquisition.

- Soit, mais il est inutile de hurler sa rage contre le mur mon fils. Nous devons agir et promptement en mettant ta fille en lieu sûr. Car si le Vatican peut t'atteindre, c'est par ta fille adorée, surtout avec ses... dispositions.

Soudain je cessais d'écrire... je me souvenais très bien de ce soir-là... je découvrais que j'étais différente. Je ne savais pas de quelle manière et à quel point mais ce fut ce soir-là que l'innocence d'une enfant de seize ans commença à disparaitre pour laisser place, étape par étape, au farouche instinct de survie qui me caractérise aujourd'hui. Après cette pensée furtive, je repris le fil de cette conversation...

- Certes, mais où ?

- En Angleterre, l'église Anglicane dépend du Roi d'Angleterre et non du Pape, le Vatican n'aura aucun pouvoir là-bas, alors profitez-en, je crois savoir aussi que sa mère y réside également.

- Certes mais est-ce qu'elle aura le temps et le cœur pour s'occuper d'elle ? Et même, daignera-t-elle à prendre soin d'elle ? J'en doute fort...

- Et pourrez-vous veiller sur elle une fois occis ? J'en doute fort également.

Ma mère... ma pauvre mère qui fut contrainte à l'exile. Mon père n'a jamais voulu me dire pourquoi. Mais je suppose que cela a un lien avec mes pouvoirs ou mes dispositions comme le disait pudiquement ce brave Bottiglionne. Je n'avais jamais osé poser ce problème sur la table. Car je me souvenais l'anéantissement de mon père lors du départ de ma mère, j'en arrivais à la conclusion que si je voulais des réponses, il me faudra aller les chercher moi-même, d'une manière ou d'une autre. Cependant certains évènements vont brusquer le cours de l'histoire.

Je sentais qu'une larme perlait... non... ce n'est pas possible... comment puis-je être aussi sensible après ces années de guerre, de traque et de sang ? Peut-être suis-je en train de m'affaiblir ? Il va falloir que je me ressaisisse, j'ai un contrat à honorer et la Chasseresse De Winther ne tolère ni l'échec ni la faiblesse. Sur ce, je me relevais et prit une profonde inspiration. Je sortis une épée, une lame noire aux reflets violets... J'observais cette lame historique. Elle reflétait mon visage... à ceci près que ce visage avait des iris violets et scintillants.
Ouf, il me reste au moins cela. Peut-être suis-je seulement en proie au doute, à la fatigue. Cela finira par passer. Cependant avant de me coucher, il y a une dernière chose que je souhaite raconter dans mes mémoires, ce jour marqué par la douleur et l'infamie, j'ai toujours redouté ce moment mais je sais que ce n'est qu'en racontant que j'exorciserai ces maudits fantômes qui me hantent depuis près de deux siècles et demie.

27 avril 1738
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La fin du mois approchait avec ses inévitables corvées comptables, les rentrées, les dépenses, les rétributions des artisans, les taxes et j'en passe, des balances me permettaient de peser l'or et ainsi vérifier que la monnaie n'était pas rognée. Je pouvais ainsi garantir la valeur de la monnaie. Des parchemins de comptes s'étalaient sur deux tables.

Puis je vis une plume d'aigle qui s'activait toute seule comme par magie, pendant que mon père lisait un compte-rendu. J'ai toujours aimé cette plume qui s'activait toute seule. Mais pour une raison que j'ignore toujours aujourd'hui, mon père a toujours refusé de m'apprendre ce qui se révèlera plus tard être de la magie. Ce sujet demeurait très sensible, il entrait dans des fureurs noires lorsque j'étais assez folles pour aborder ce sujet.

Le soir, il voulut me voir dans son bureau personnel. J'entrais. Je reconnus alors la malle qu'on utilisait d'habitude pour les voyages au pied de son fauteuil. Il m'invita à m'asseoir. Une fois encore, les mots que j'inscris sont ceux qui me restent, avec les incertitudes qui vont avec :

- Aurora, il est nécessaire que je te parle de quelque chose d'important.

- Je t'écoute père.

- Comme tu le sais sûrement, le nouveau pape représente une sérieuse menace pour notre famille, et toi ma fille adorée, tu en es le maillon le plus vulnérable.

Je déglutis, inquiète de la tournure que prenaient les évènements. Puis il reprit.

- J'ai donc pris la décision de t'envoyer en Angleterre chez ta mère. Ainsi, non seulement tu trouveras des réponses à bon nombre de tes questions mais avec elle, tu seras protégée des hommes et de leur bêtise. Mais pour cela...

J'entendis alors un coup sourd. Je vis le visage de mon père se décomposer, et devenir blanc de peur. Mais qu'est ce qui pouvait l'affoler de la sorte ? Puis j'entendis et je compris...

- Au nom de Sa Sainteté ! Ouvrez donc cette porte !

Instinctivement, je saisis les deux pistolets que mon père m'envoya, lui-même il ouvrit un tiroir pour sortir deux autres pistolets de type 1733, les meilleures modèles de l'époque. Il en releva les chiens lorsque les sbires du pape entrèrent en force dans la demeure. Mon père abattit les deux premiers et j'abattis les deux suivants. Nous les surprîmes par notre puissance de feu, mais ces crétins avaient juste oublié qu'ils s'en prenaient à une famille d'armurier.

Je sortis alors mon épée et me rua sur mes ennemis. Ils étaient drapés de rouge, une croix en guise d'insigne apparaissait sur leurs armures noires et leurs capes rouges. Ils portaient des masques d'acier sous leurs capuchons pour ne pas être reconnus lorsqu'ils commettaient leurs forfaits... impunité totale. Il se passa alors quelque chose que je n'oublierai jamais.

Nous allions succomber sous le nombre des sbires papaux, mon père sortit alors une fine baguette de bois d'if et lança une série d'incantations sous le regard effaré des sbires. Je fus alors aspirée par un puissant halo de magie. Alors que le portail de magie se refermait progressivement, je vis alors mon père entouré de ces assassins lancer une dernière incantation, entraînant une puissante détonation soufflant toute la maison. Il n'en restait plus que des gravats et un immense cratère fumant. Je hurlais et pleurais de toutes mes forces, J'étais anéantie tandis que le portail s'ouvrit dans une petite chapelle perdue dans les Alpes italiennes, non loin de la Forêt de l'Irolane qui couvrait les montagnes de la frontière entre le royaume de France et celui du Piémont. Alors que j'étais en proie aux pleurs et au chagrin, je perdis connaissance, mais avant de sombrer dans le néant, je vis le visage bienveillant de Bottiglionne et de l'oncle Spimello. Un chapitre de ma vie s'achevait dans la douleur, et un autre allait commencer, celui de la traversée.

Je refermai le carnet et jetai un regard sur le miroir, j'étais méconnaissable, les cernes et les larmes ne faisaient pas très bon ménages avec le maquillage qu'il fut de haut de gamme ou pas. Tout compte fait, je ne vais pas me coucher de suite mais aller profiter de la salle de bain des préfets en chef. S'il y a bien une chose que je sais faire à la perfection, c'est de profiter des biens d'autrui à son insu. Je pris alors mes affaires de bain et aussi discrète qu'une banshee, je me faufilais jusqu'à la salle de bains des préfets pour en profiter le reste de la nuit.